15 avrilMon juxe-box personnel - celui qui t'impressionnait tant - s'est mis en marche tout seul et je chemine, angoissée à mort, serrée comme jamais, avec comme seul fond mental ces ritournelles qui me font souffrir. Hier, c'était le violoncelle dans la chanson d'Harry Nilson. Aujourd'hui, c'est le Smokey Day de Colin Blunstone. J'aimerais pouvoir revenir en arrière, quand tout était encore réparable et pardonnable. Mais ça n'arrivera pas. A.

21 maiCette idiote n'est venue vers toi que pour se donner le frisson des marges. Quand tu t'en apercevras, il sera trop tard. T'es vraiment qu'une sombre conne.

10 maiAvec Julie, on a poussé jusqu'en Espagne. Après avoir étudié la carte, j'ai insisté pour prendre les routes de l'extrême. Le nom des villes en dit long sur les territoires que je traverse.

17 avrilAujourd'hui, il pleut. Et c'est tout ce qu'il sait faire. Je suis là à regarder par la fenêtre. Je ressasse. Je te déteste, j'imagine que je te frappe. J'ai le front contre la fenêtre et je ris de cette situation qui m'oblige à me transformer en Emma Bovary. La chanson d'Ann Peebles, celle de Brigitte Fontaine, je ne pourrai plus les écouter, ni les autres d'ailleurs. Toutes ces musiques qui nous ont bercées, toutes ces longues après-midi où on restait au lit, où on trempait dans le eaux riantes de l'amour, à bloc d'ocytocine. Il suffit de se faire à l'idée qu'il s'agit de biochimie et que le cœur n'est qu'une pompe de chair. Il suffit de sortir de cette hypnose. Le plus dur, c'est le manque. Il reste un peu de ton odeur dans l'appartement. J'ai tout lavé mais ça ne change rien. J'ai aussi enlevé tous les posters, tous les tableaux. Les murs sont nus désormais. Et le suicide alors ? C'est une option, figure-toi. Sinon, je me regarde plusieurs fois par jour dans le miroir, pour vérifier que j'existe toujours. Quand je pense que j'y croyais. J'y croyais et toi, tu pars du jour au lendemain pour une universitaire surdiplômée qui découvre à trente ans qu'elle joue dans l'orchestre ? On t'a expliqué que les neurones ne se partageaient pas ? Ton niveau de bêtise restera identique. Ta petite vie, tes petits choix et tes petites idées... C'est toujours ce qui a eu la priorité, pas vrai ? Bon baisers du néant. A.

13 avrilSalut, que tu m'aies quittée, après tout, je ne vois rien à y redire. Entre nous, ça sonnait faux depuis déjà un moment. Il y avait cette tension contraire très forte que je ne pouvais me résoudre à regarder en face. Tu disais bleu, je disais bleu aussi, pour essayer de maintenir un lien, quelque chose de commun, mais au fond, je pensais blanc, je pensais ailleurs, je pensais moi aussi à m'arrêter-là. Tu es partie en premier, en plongeant dans un autre lit, dans le corps d'une autre. C'est d'une banalité affligeante. Pourtant, je ne me fais pas à cette idée et je me sens aussi misérable qu'un chien. J'erre des heures dans Paris sans pouvoir m'intéresser à autre chose qu'à ce saccage de nous. Hier soir, comme chaque soir, j'ai refait notre parcours des champions : la terrasse des Folies et puis chez Alex. J'ai pensé à la dernière fois où nous y avons dîné. Souviens-toi, au début, on y mangeait presque tous les soirs. On se racontait nos journées et chaque détail comptait. On vérifiait à quel point nos névroses s'emboîtaient bien, on souriait. Quelle angoisse ce soir-là de n'avoir eu plus rien à se dire. Ce souvenir-là, je te le rends, je n'en veux plus, il m'encombre. D'ailleurs, ces souvenirs, je vais tous te les rendre, un par un. C'est pour ça que je t'écris. Je veux que tu sortes de moi. Je ne t'embrasse pas. A.

23 avrilGrâce à toi, le pire moment de ma journée désormais, c'est le réveil. Quand il faut de nouveau ressentir le vide, reprendre le cours de sa vie et désirer des choses pour soi-même. Il ne m'a jamais semblé aussi difficile de désirer quelque chose. Tout à l'heure, je suis sortie faire des courses. J'errais dans les rayons en essayant de savoir ce que j'aurais envie de manger alors que je n'ai pas faim. à chaque étal ne me tombaient sous les yeux que les choses que tu aimes. Ces choses que je n'aurais plus jamais besoin d'acheter pour te faire plaisir. Dans mes placards, plus de Nutella, ni de cette ignoble brioche industrielle prétranchée - celle que tu trempais grossièrement dans ton café. Plus de Yop ni de Viennois au café dans mon frigo (je ne te l'ai jamais dit mais je profite de l'occasion : c'est vraiment dégueulasse). Je ne veux plus rien acheter de ce qu'on mangeait ensemble. L'idée même de toi entrain de manger me dégoûte. Encore plus, l'idée que tu puisses désormais partager tes folles passions culinaires avec cette pintade. J'espère qu'elle apprécie le civet en boîte. Nauséeusement, A.

27 avrilJe me fous bien que tu me lises et encore plus que tu me répondes. Ton silence ne me gêne pas. J'ai déjeuné avec Marie qui s'indigne, tout comme moi, de ta manière de faire. Les formules, ça n'a jamais été ton fort. Elle m'a traînée au cinéma en disant que ça me ferait du bien de voir quelque chose de léger. C'était une rom' com' banale mais j'ai pleuré tout du long et j'ai fermé les yeux au moment du baiser. Heureusement qu'elle avait des kleenex. En sortant, on a bu un verre au Lieu Temporaire. J'ai repensé au concert de Hunx and his Punks, à cette grignette qui chantait en string bonbon au milieu de gros bikers surtestostéronnés. Avec qui vais-je rire de tout cela désormais ? Des chiens ridicules qui tirent les vieilles dames en laisse ? Des pêches au canard et des manèges de province qui diffusent du Michel Delpech aux petits enfants ? Des papas complètement cuits dans les PMU de quartier ? J'ai retrouvé cette carte. L'expo de Londres. On s'était caillé les miches. Le Mickey, c'est moi. Voilà l'état dans lequel je suis. Je crois qu'on peut appeller ça de la dévastation. A.

2 maiJe me suis décidée à partir quelques jours chez Julie. Quitter Paris était horrible : la distance géographique m'a fait complètement décompenser. Imaginer que tu puisses librement y circuler sans tenir compte de moi me rendait et me rend toujours malade. à l'aller, j'ai cru mourir. En réalité, l'angoisse ne me quitte pas. C'est comme d'avoir tout le temps la gerbe. TU ME FOUS LA GERBE. Devant le distributeur de tickets, je ne pouvais pas me retenir de pleurer. Deux retraitées derrière moi m'ont tendu un mouchoir en me demandant pour quoi j'étais dans cet état. J'ai répondu que je venais de me faire plaquer. Elles ont dit: « Ce crétin ne sait pas ce qu'il rate. Ĉa passera, vous serez heureuse, n'en doutez pas ». Je trouve ça dingue que n'importe qui soit plus gentil que toi. On s'est promenées au cimetière de Saint-Rémy et à l'hôtel abandonné où on est allées la dernière fois. La Fuego me fait penser à toi. Tu étais mon Bevillacqua, mon bandit en cavale. En vrai, tu n'es qu'un Messrine de pacotille, un Roger de boulevard. Et grossier en plus. Beurk. Je te vomis.

18 maiTu mérites cette vue mièvre et bonne pour les touristes qui croient que Paris est romantique. Paris n'est pas romantique, Paris est mort, en ruines, je suis assaillie par sa laideur et par la laideur des choses en général. Il faut croire que cette comédie qu'on appelle l'amour m'aura aveuglée. à force de tourner dans la ville, mes talons sont complètement morts. A force de pleurer, j'ai chopé un truc aux yeux. On dirait que quelqu'un m'a bastonnée. Physiquement, j'ai l'impression qu'on m'a marchée dessus. Ce n'est peut-être pas qu'une impression. Jamais je ne pourrai te pardonner. A.

15 juilletSalut, c'est drôle d'être là sans toi mais, bizarrement, ça m'est égal. Il fait super beau. Daphné est partie quelques jours à Milan, je suis seule dans son appartement avec Shania et Franck. On traîne au Mobel Olfe, on fait du vélo à Tempelhof et on fait aussi des grillades. On rit beaucoup et je ne pense plus trop à cette débandade. En fait, je dois avouer que je suis beaucoup plus heureuse loin de toi. Sans toi. Sans avoir à me préoccuper de toi. Hier, j'ai vu une super expo sur de jeunes artistes canadiens. De Winnipeg. Des gros cinglés. J'ai choisi cette carte. Comme pour l'oiseau dessus, cette rupture m'a transpercée mais aujourd'hui je respire mieux et je peux même chanter. Je me retrouve et, crois-le si tu veux, je ne suis pas du tout la personne que tu décrivais récemment et à qui tu reprochais constamment d'exister. Ciao. On se croisera quand je rentrerai. Et cesse de me téléphoner.

4 juinJ'ai jeté ton linge sale et tes chaussettes dégueus. J'ai entendu dire que ta nouvelle amie était pas super nickel ni humainement, ni politiquement. Il paraît que c'est une tarte manipulatrice mais comme tu es débile, tu ne t'aperçois de rien. Je te plains. J'ai vu que tu devais aller à Marseille avec les punks à chien pour ce colloque. J'espère que sa conférence sera mauvaise et que vous mangerez des salades vegan sans gluten ni joie. Je voudrais que tu viennes chercher tes affaires. Je pars fin juin pour Berlin. Daphné m'a invitée pour le temps que je veux et je vais sous louer l'appart. En réalité, je me réjouis de retrouver le canal, Panierstrasse et toute la bande. Renate a une expo à venir et Franck sera là aussi. Bref, merci de faire le nécessaire rapidement. Dis-moi quand tu penses venir, que je ne te croise pas, et dépose la clé dans la boîte aux lettres. Salut.