à chaque fois que j’écris mon rapport, je pense au journal de bord que tenait la chanteuse Shirley Manson à chaque enregistrement d’un album de Garbage. Elle débarquait pour un temps plein à Madison, dans le Wisconsin, avec ses yeux d’écossaise et décrivait son expérience avec ce groupe américain toutes les semaines, sur son ordinateur, par Internet. Bien que je ne me sente en aucun cas comme une chanteuse écossaise, j’ai l’impression d’avoir le même genre d’excitation dans ce que je vois, même dans les choses les plus insignifiantes : la gardienne qui m’appelle Sweety, le vendeur d’Office Depot qui m’appelle Buddy, les milliards de déclinaisons des biscuits Oreo (que j’adore), la voix masculine des annonces dans le métro, le Fanta Grape…
Après une semaine de cours où j’ai commencé mon brainstorming, celle-ci commence sous le signe de la recherche d’objets pour faire du son. Je me sens complètement attiré par tout ce qui fait du bruit. L’expédition se fait sur plusieurs jours.
Je déniche un lecteur cassette, des enregistrements anciens, des disques 78 tours et un nano synthé et des bébés enceintes à l’armée du salut. J’y trouve aussi les choses les plus folles et les plus inattendues comme des laserdics ou un authentique Pong d’époque. Je me sens comme un gosse dans une grotte pleine de trésors.
Je descends à la Station de Damen (ma préférée). Direction Brown Elephant, un magasin de vieux objets où je ne retiens rien, sauf la musique ambiante, une chanson de Junior Boys que je n’ai jamais entendu autre part que sur mon ordi…
Bredouille, je me retrouve devant un autre paradis très dangereux pour mon porte-feuille : Reckless Records. J’entre. Je ressors avec des disques de Christian Marclay, Bernhard Günther, Matthew Dear et Pansonic. Inutile de préciser qu’au grand jamais je n’aurais trouvé de tels disques dans un magasin à Salon, ou Aix, surtout pour 2 ou 3 dollars chacun. Plus tard, je réalise que dans un magasin du même nom en face de chez moi, il y en a encore plus. Je le dévalise de pleins de sons, d’Autechre à Squarepusher, en passant par Death Cab for Cutie ou Plaid…
Je termine mon périple par un crochet à Radio Shack pour acheter le « vrai » matériel demandé par Nick Collins : une radio Portable, un micro et un casque. Me voilà équipé pour le cours.
On ne continue pas trop la partition de John Cage cette semaine. Nick repousse le projet à plus tard. Aujourd’hui, c’est avec le percussionniste improvisateur Michael Zerang que nous travaillons. Il aborde très rapide l’idée qu’il souhaite développer avec nous : écouter. Au lieu de nous faire faire du bruit, il veut nous faire réaliser ce que nous écoutons dans le lieu où nous sommes. Il considère l’oreille comme un muscle que l’on peut travailler pour distinguer les sons d’un espace, déhiérarchiser un environnement pour tout discerner. Nous expérimentons son idée : chacun muni d’une petite cloche, dans l’obscurité, yeux fermés, nous déambulons dans l’espace. Puis c’est avec nos objets électriques que nous faisons ce même exercice.
L’exercice me paraît assez particulier : je ne connais pas certains mots qu’il utilise pour nous guider. Je suis perdu parfois. J’ai alors l’impression qu’il s’agit non seulement d’apprendre à écouter mais aussi à communiquer. On se répond par le son, on se localise par le son, on situe les autres par le son, mais au-delà une seconde communication en anglais (du son organisé) orchestre le tout.
Je ne cherche plus vraiment quel est l’objectif de ce cours, où quelles sont les demandes qui nous sont faites. Au final, c’est plus des expériences sonores qui font de ce cours un cours de performance live. Pour l’instant, on ne cherche pas ce que l’on pourrait faire en direct mais dans un futur proche ou pour un projet, on provoque juste des situations où des choses se passent, sans préparation.
C’est avec ce même artiste que nous partageons le cours de Peter Gena le lendemain. Cette fois-ci, on découvre son travail par des concerts enregistrés à Beirut avec d’autres musiciens improvisateurs. Le son est parfois lent, parfois étrange, parfois flou ou silencieux. Le plus surprenant étant la totale adéquation entre les instruments alors que c’est improvisé. On ne sait parfois plus ce que l’on écoute, ou qui fait quoi ?
Puis c’est à notre tour. Je lui propose d’écouter A, un début d’essai de son de 10 minutes, où je pars d’une fréquence que je modifie très lentement. La discussion qui en découle est très intéressante : en rejoignant les idées sur l’écoute de la veille, il me renvoie à des questions sur la place du spectateur, que j’ai vraiment mis de côté pour l’instant dans ce travail-là. C’est donc vers deux travaux différents que je peux me pencher : une écoute au casque et/ou une écoute dans un espace. Je crois que je me dirige doucement vers le casque pour le moment…
L’entretien de cette semaine avec Jon Cates a encore été très fructueux, plein de discussions qui fusent dans tous les sens. Le thème a principalement tourné autour du son et de son pouvoir physique sur l’auditeur, mais aussi encore et toujours autour du 0 et de l’absolu. Il me suggère d’aller voir du côté de Sound ?? avec John Cage et Raashan Roland Kirk, puis Video Black, the Mortality of the Iimage de Bill Viola. Jon me parle également d’un concert d’Autechre qu’il a vu où le son était si « inhumain », si peu musical, que l’expérience physique en faisait perdre les repères.
Bien qu’encore floue, mes idées de projet son seront sûrement en rapport avec ses valeurs interchangeables minimales et maximales.
C’est en rentrant du cours de Webart que j’ai appris qu’un homme avait tiré sur des gens dans une université de l’Illinois. Si ce n’est un mail du directeur de l’école, je n’ai eu aucune impression ou discussion avec un étudiant ou qui que se soit. Le drapeau américain est en berne mais c’est comme si rien ne s’était passé. Les faits sont bien réels, mais tout semble comme loin, alors qu’il s’agit du même état, et de la cinquième fusillade cette semaine. Comme tout le monde, on se sent dans cette même indifférence face à la chose, ce qui est finalement assez effrayant. Finalement, c’est plus sur les mêmes vieilles questions de sécurité que vont tourner les discussions, alors que le problème est sûrement plus complexe. Ceci dit, je ne comprends pas grand-chose à tout ça je pense…
Puis la semaine a continué : retour au Art Institute pour revoir de plus près certaines pièces (en particulier les photos de Rineke Djikstra), une exposition temporaire de Winslow Homer tellement longue qu’elle en devenait une berceuse (l’eau, les vagues, le calme…).
Sur les conseils du prof de Webart, Andrew Hicks, nous avons vu U2 en 3D à l’Imax de Navy Pier. Même si les derniers albums ne sont pas mes préférés, voir le concert comme ça était très impressionnant : j’avais l’impression de mieux voir et entendre le concert que si j’y étais pour de vrai. On pouvait même voir les taches de rousseurs sur les bras de The Edge !
Pour finir, je crois que je n’arrive pas à retranscrire la moitié des choses telles que je les vis ici. Même si je m’acclimate de mieux en mieux à la vie ici, j’ai toujours l’impression que c’est surréaliste. Aller manger un Black Forest Ham, avec un Cinamon Dolce Latte et le New York Times, ça me fait bêtement sourire le matin.