On entre directement dans l’ambiance de Chicago : entre -20 et 5 degrés Celsius, de la neige, du vent, beaucoup de bruit et peu de vie dans le centre la nuit. Il faut prendre ses marques, s’accrocher à un nouveau rythme. On y vient peu à peu.
La ville grouille toute la journée. Pleins de gens, tous très différents. On est français, juste différents comme tous les Américains. Notre accent n’est pas un signe d’étrangeté, juste un autre accent américain, un accent d’autre part. On explore : des grandes lignes hautes des bâtiments qui finissent par la grande longue ligne du lac.
La neige tombe très souvent, quelques fois accompagnée de vent… La ville s’habille alors de panneaux Caution wet floor ou Caution falling ice et d’une neige allant du blanc au gris, voire marronnasse. Les gens se métamorphosent, et deviennent alors des sortes de grenouilles qui enjambent et sautillent sur les trottoirs et les routes pour ne pas se mouiller, pour ne pas tomber dans la flaque gelée.
Entre ces lignes verticales et horizontales blanches et grises, de la cuisine américaine : des Subways, des MacDo, des pizzas et surtout, des Starbucks (110 à Chicago selon le site officiel).
Tout se passe vite. Tout s’obtient vite. Ouvrir un compte bancaire ? Une demie heure. Demander quelqu’un pour réparer le chauffage de son appart ? Une heure (réparation comprise). Commander un sandwich ? Quelques secondes, avec les plus plates excuses si l’on attend plus de deux minutes. Obtenir de l’aide dans un Apple Store ? Instantanément, sachant qu’il y a presque autant de personnel pour aider que de clients…
Outre cette rapidité, on constate aussi un panel de possibilités impressionnant : si l’on ne sait pas quel café on veut, avec quel lait et quel sucre, quelle température et quelle taille, on est perdu. Il en est de même dans les supermarchés…
Je mets mon iPod et je vais au Art Institute of Chicago. J’écoute Sascha Funke et son nouvel album Mango. Evidemment je me trompe d’entrée, puisque ce n’est pas sur Colombus Drive que l’on entre mais sur la Michigan Avenue…
J’y suis.
C’est encore très grand.
Je commence la visite par une exposition temporaire de photos sur l’adolescence des filles intitulée Girls on the Verge. C’est principalement des photos de Rineke Djikstra que je remarque. Des immenses photos de jeunes filles en maillot sur la plage. Outre son étonnante capacité à mettre en image le malaise et toute la complexité de l’adolescence, Rineke Djikstra arrive aussi à mettre en relief toute une culture. Ainsi, la jeune adolescente Américaine par exemple, porte sur son adolescence toute l’imagerie de la recherche de la beauté, du besoin d’obéir à certains codes, pour être comme tout le monde. Mais la photo ne trahit pourtant pas toute l’incertitude de son âge.
Puis je tombe sur un tableau de Magritte, Time transfixed, qui me rappelle la première scène de The Taste of Tea d’Ishii Katsuhito : inutile mais amusant. Un train qui s’enfonce dans une cheminée, qui dans le film sort de la tête du personnage principal, en symbole du train qui lui a échappé. On retrouve la même notion du temps qui passent dans ces deux œuvres, avec le même train qui s’enfonce dans la cheminée pour sortir par la tête du protagoniste dans le film.
Je découvre aussi que Yayoi Kusama a aussi fait ses ronds sur des toiles, et qu’elle n’est pas toute jeune…
Je survole la partie sur l’art japonais (manque de temps pour cette première visite) en m’étonnant de voir ses choses que j’ai vu au Japon. On dirait que le musée de Kyoto a son double ici. Les mêmes céramiques, accessoires, décorations. Étonnant…
J’arrive à la section d’art contemporain, qui débute par des tableaux de Twombly, dont Pierre Paliard nous a parlé durant le dernier cours avant de partir. L’échelle me surprend, ainsi que la fausse simplicité du dessin. Je tombe aussi sur Red Yellow Blue White and Black d’Elsworth Kelly, qui me rappelle des problématiques quant au Rouge-Vert-Bleu qui m’intéresse beaucoup ces temps. Je finis cette visite avec un monochrome noir de Reinhardt, comme si je mettais le point sur le i final de cette premier visite.
Où va-t-on avoir cours ? Au Sharp Building ? Au Michigan Building ? Au Colombus Drive Building ? Au 37 Wabash ? L’école est très grande. Gigantesque pour nos yeux d’Aixois. Avec des ascenseurs dans tous les sens. Des embouteillages pour pointer avec l’Articard… Des revolving-doors de partout et des bureaux pour chaque professeur, pour chaque service, pour chaque étage, pour tout. Untel ne peut pas faire ce papier donc il faut aller dans l’autre bâtiment parce qu’on pourra sûrement mieux nous renseigner là-bas… Le service Assurance est ici, mais il faut demander au service Santé dans l’autre bâtiment. C’est grand…
On découvre l’école en même temps que l’on commence avec Peter Gena. Sound Projet, tel est l’intitulé de ce tout premier cours. L’ambiance est assez détendue : on est là pour écouter les autres et pour discuter. Il n’y aura ni apprentissage de techniques, ni théorie. Juste des échanges, des explorations et découvertes collectives, ce qui ne pouvait pas mieux me convenir. Tout ce que l’on entend sonne différemment. Noise. Rock. Paysage sonore. Histoire. Mix. Tout est permis. On débarque avec l’idée que seul le son comme matière est valable dans une école alors la musique des autres nous bouscule. Je ne sais pas ce que je vais faire mais je vais ouvrir les oreilles pour mieux fabriquer quelque chose.
Quelques jours plus tard…
Le premier cours de Live Performance se fait sans Nic Collins. C’est Alan, que j’ai rencontré à Aix pour le workshop Wii qui assistera le cours, il est le T.A. J’entre dans la salle est l’ensemble Pamplemousse est en train d’installer son matériel (des ordinateurs et des instruments). Je ne comprends que plus tard qu’ils ne sont pas étudiants mais juste là pour un workshop. Je suis rassuré car j’ai cru un moment que ce cours était uniquement pour des musiciens avertis. On écoute. Des sons sur Max/MSP, des expérimentations de l’instrument et de son son, des souffles, des regards. La musique est écrite sur des partitions graphiques, qui permettent de sortir de la musique traditionnelle pour explorer d’autres facettes. On évoque John Cage et ses partitions basées sur les constellations d’étoiles, ou la logique de Rama Gottfried. Puis les autres étudiants commencent spontanément à prendre des instruments pour jouer aussi, pour explorer. Des triangles, des guitares, des percussions, des voix etc… J’aurai peut-être dû en faire autant, mais spontanément, c’est vers mon ordinateur que je me dirige. Quinze minutes plus tard, je propose une partition que j’appelle Sourdine (Mute). Je suis étonné car malgré les réactions et la curiosité des musiciens de Pamplemousse, aucun ne jouera ma partition qui se joue sans s’entendre. Après en avoir discuté avec Jon Cates, mon advisor, nous tombons d’accord sur l’idée d’une morale, même dans des travaux parfois très originaux. Une morale donc qui bloquerait les gens, qui empêcherait de faire les choses, de peur d’aller à l’envers, de ne pas faire comme on devrait.
Jon Cates me conseille d’ailleurs de regarder Hurlement en faveur de Sade de Guy Debord. La vidéo est en fait juste une suite de séquences blanches (avec des extraits de textes) ou blanches (silencieuses). Cette vidéo a fait couler beaucoup d’encre et défrayé la chronique parce que justement la vidéo était absente de la vidéo. Seulement du son. Il y est question de d’esthétique et que déconstructions de conventions du cinéma. Jon rapproche cela de mon travail sur Espace de Silence et l’anecdote avec Pamplemousse le matin même. Au final ce premier rendez-vous avez Jon Cates ne mène pas vers de nouveaux travaux mais me pousse à réfléchir encore à mes travaux passés, pour justement revoir comment avancer mes travaux à venir…